The Gravedigger’s Wife raconte la vie d’un fossoyeur et de sa femme refusant de baisser les bras face aux difficultés. Cette histoire très originale, racontée par Khadar Ayderus Ahmed avec une sensibilité remarquable pour les personnages et les lieux, nous vient tout droit de la Somalie, pays de 15 millions d’habitants en Afrique de l’Est, rarement vu au cinéma. Un grand premier film, présenté dans la Semaine de la Critique au Festival de Cannes 2021.

Lors de la première mondiale au Festival de Cannes, une grande émotion était déjà présente dans la salle avant même le début de votre film The Gravedigger’s Wife. Vous avez été véritablement submergé par les sentiments…

C’était fou. Nous avions reçu l’invitation un an avant. Avec le Covid, nous avons décidé de reporter l’invitation à l’édition 2021. Nous avons dû attendre un an pour que le film soit à Cannes. Avec la pandémie, toutes les salles de cinéma fermées, avoir ma famille dans le public, mes amis proches de Paris et d’Helsinki… c’était extrêmement émouvant et bouleversant.

Vous avez 40 ans. Vous êtes né à Mogadiscio, en Somalie, puis vous vous êtes installé en Finlande, et maintenant vous vivez et travaillez en France. Tourner le film en Somalie, était-ce une sorte de mal du pays ?

J’ai quitté la Somalie à l’âge de 16 ans. Je n’y ai jamais travaillé. Je voulais vraiment faire ce film en Somalie, avec ma propre langue maternelle et avec un casting somalien. Nous avons décidé de tourner le film à Djibouti, pour de nombreuses raisons : les lieux de tournage, la sécurité… Je n’avais jamais travaillé en Afrique auparavant. C’était vraiment un défi pour moi de retourner chez moi, de travailler là-bas, de voir comment les choses fonctionnent et comment les gens m’accueillent. Je voulais simplement raconter une histoire somalienne à laquelle je pouvais m’identifier, à laquelle les membres de ma famille et mes amis pouvaient s’identifier. J’ai vu tant de films sur la Somalie réalisés par des cinéastes occidentaux, mais je ne pouvais pas vraiment m’identifier à ces films en tant que Somalien. La façon dont le peuple somalien était représenté était complètement différente. Je voulais simplement raconter ma propre version des Somaliens, avec humanité et dignité.

Dans La femme du fossoyeur, vous nous racontez beaucoup d’histoires : sur la tension entre la vie au village et la vie urbaine, les pauvres, l’éducation et la tradition, des histoires sur le mariage, le travail, la croyance, l’espoir… et vous racontez toutes ces histoires à partir du fossoyeur. Qu’y a-t-il de si spécial à être fossoyeur en Somalie ?

Il n’y a rien de très spécial à être fossoyeur en Somalie, mais l’histoire a été inspirée par un événement réel qui s’est produit dans ma famille il y a dix ans. Le bébé de mon frère est décédé et nous avons eu un rituel funéraire islamique. Le processus a été long et très épuisant. Le jour des funérailles, mon frère aîné m’a demandé si je me souvenais à quel point il était facile d’enterrer quelqu’un en Somalie. J’ai répondu : non. Il m’a dit qu’il y avait toujours une équipe de fossoyeurs devant les hôpitaux qui faisaient le travail en deux heures ! Juste comme ça.

Ensuite, ce personnage de fossoyeur m’a littéralement hanté. Il m’a suivi partout jusqu’à ce que je décide de m’asseoir et d’écrire à son sujet. Mais, je ne voulais pas vraiment mettre en avant les fossoyeurs en Somalie. C’est juste que cette histoire a été inspirée par ce véritable incident. Puis j’ai décidé de suivre ce personnage, son univers, pour voir où il me mènerait. Pour donner une voix.

Vous avez été hanté visiblement aussi par beaucoup d’autres éléments en Somalie : les couleurs, la lumière, les marchés, les enfants, les incroyables paysages… Pour un cinéaste, qu’y a-t-il de spécial à tourner en Somalie ?

Surtout les lieux de tournage. Nous avons eu beaucoup de chance. À Djibouti, notre lieu de tournage, il y avait tout ce dont nous avions besoin pour raconter l’histoire : l’océan, la plage, les montagnes, le petit village, le désert, tout. Émotionnellement, c’était fou de tourner le film là-bas. Je voulais y tourner pour compléter les rôles et les émotions des personnages, montrer leur humanité. En termes de lumière, tout était naturel. Je ne pourrais jamais tourner le même film en Europe. La Somalie nous a offert plus que ce que nous demandions.

J’ai essayé en vain de trouver le nom d’un cinéaste internationalement connu et né en Somalie. Comment êtes-vous venu au cinéma ?

Les Somaliens sont connus pour leurs histoires et pour leurs poètes. J’écoutais beaucoup d’histoires quand j’étais enfant. Les gens aimaient raconter des histoires. La Somalie est une nation de conteurs. J’ai grandi avec ça, en écoutant des histoires tous les jours, et en racontant les mêmes histoires à mes amis. Nous partagions tous ces histoires.

Quand je suis arrivé en Finlande, je suis tombé amoureux du cinéma. J’ai commencé à aller au cinéma tous les jours, parfois trois ou quatre fois par semaine. Un jour, j’ai vu un beau film de Gus Van Sant. Il m’a frappé. Je me suis dit : c’est ça. Je veux vraiment raconter des histoires comme ça, au cinéma. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de devenir cinéaste, de raconter des histoires et de leur donner vie à travers le cinéma.

#RFI

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